À la recherche de l'ouïe perdue
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Nous sommes en septembre et jouissons encore d'une belle après-midi ensoleillée. Je suis installé dans la cour de mon habitation, bien calé dans un confortable fauteuil de jardin. Je lis les dernières nouvelles parues dans les pages de mon quotidien favori. La vie pourrait se dérouler comme un long fleuve tranquille, lorsque tout à coup, Bonemine, mon épouse, jaillit de la cuisine comme un « cacafougna » hors de sa boîte. Filant comme un éclair, gantée de caoutchouc, sécateur à la main, elle passe à côté de moi et se dirige, d'un pas décidé vers le jardin. Plus précisément vers le petit bois qui se trouve juste derrière la remise à outils.

Pendant la nuit, il y a eu un violent orage, et un vieux prunier n'a pas su résister aux coups de boutoir d'un vent violent. Il a cassé sa pipe, juste à ras du sol. En tombant, dans un geste désespéré, il a entremêlé ses branches avec celles du pommier, son voisin de toujours. C'est la raison pour laquelle, Bonemine, actionnant son sécateur commence à couper les petites branches qui s'accrochent et résistent. En quelque sorte elle lui fait sa toilette post-mortem. Du coin de l'œil, je l'observe en plein travail, mine de rien.

Puis, brusquement, je me lève et décide de lui donner un petit coup de main. Dans la cabane remise, je m'empare d'une scie spéciale pour élagage et rejoins Bonemine. Tout de suite, afin de lui faciliter la tâche, je m'attaque, avec entrain, à la coupe d'une grosse branche située à près de deux mètres du sol. D'un mouvement régulier de va-et-vient, je l'entaille fortement. Tout à coup, un craquement me fait lever les yeux. Trop tard, je reçois sur le front la branche coupée. Je constate une éraflure et un léger saignement. Jurant comme il n'est pas possible, je me dirige vers la maison afin d'apposer un léger pansement sur la petite blessure. Chemin faisant je porte la main à mon oreille gauche et constate avec stupeur que ma prothèse auditive à disparu. Consterné, je pense à la valeur de l'appareil et aussi à la façon dont je vais pouvoir ouïr dès à présent.

Après m'être pansé, je reviens sur le lieu de l'accident et avec Bonemine nous délimitons un espace herbeux sur lequel la prothèse aurait pu tomber et disparaître. Penchés, nous commençons nos recherches à tâtons, fouillant chaque motte de gazon. Tout à coup, un cri ! Bonemine croyant la retrouver à mis la main sur une grosse limace. Après une vingtaine de minutes de vaines fouilles, nous devons bien nous rendre à l'évidence que la prothèse  est bel et bien disparue. Que faire ! Jamais à court d'idées, même les plus farfelues, Bonemine suggère de prendre la tondeuse. À première vue je ne vois pas bien le rapport. Après explications, elle me convainc qu'avec la force centrifuge provoquée par l'hélice, la prothèse pourrait être aspirée et venir se fixer dans le bac de récupération. Pourquoi ne pas essayer ! Que risque-t-on ! Ou bien on retrouve ma prothèse saine et sauve ou bien, à la loupe, on récupérera de petits fragments pour en faire un puzzle.

Aussitôt dit aussitôt fait, on sort la tondeuse électrique de la cabane, on adapte le bac de récupération et raccordons le fil d'allonge à une prise de courant électrique se trouvant à l'entrée de la cuisine. Avant de brancher le courant électrique, je demande à Bonemine si le fil sera suffisamment long pour accéder à l'endroit où la tondeuse devra opérer. Elle me répond oui d'une toute petite voix. Je ne m'inquiète pas, outre mesure, et introduis tout de go, la fiche de l'allonge dans la prise. Après un instant, n'entendant pas le vrombissement du moteur, je demande à Bonemine pourquoi la tondeuse ne fonctionne pas. Toujours d'une petite voix, elle me dit qu'il n'y a pas de courant. Je trouve cela bizarre et décide de vérifier la prise de courant, car je crains qu'en tirant sur l'allonge celle-ci n'ait déconnecté un fil conducteur. Après démontage et vérification, je constate que tout est bien en place, mais il n'y a pas de courant. Je branche la fiche de l'allonge dans une autre prise  pour constater qu'il n'y a toujours pas de courant sur la tondeuse. Je descends dans la cave et m'aperçois que le levier du disjoncteur général est abaissé. Je le remets en place et aussitôt « Paf », nouveau déclenchement qui annonce un court-circuit franc. Je monte de la cave et traverse le jardin à toute vitesse pour découvrir que le boîtier de commande de la tondeuse est tout démantibulé. Voilà donc la cause du court-circuit. Bonemine en tirant de toutes ses forces sur l'allonge a fait sortir les fils de leur cosse de raccordement provoquant en se touchant un court-circuit franc.

Cela n'arrange pas du tout mes affaires. Non seulement je n'ai pas retrouvé ma prothèse, mais en plus je vais devoir rafistoler le boîtier de commande avec des petits ressorts difficiles à maîtriser qui vous sautent à la figure dès que je veux remettre en place le couvercle de fermeture. Bonemine et moi sommes énervés. Nous décidons d'arrêter nos recherches ainsi que la réparation de la tondeuse. La nuit portant conseil, nous y verrons peut-être plus le lendemain matin.

Dès potron-minet, avant de petit-déjeuner, je reprends mes investigations. Sans succès il faut bien le dire. Je me décide de réparer le boîtier de commande. Comme par enchantement toutes les petites pièces et les petits ressorts se mettent en place. En quelques minutes tout est remonté. Je décide de faire un essai. À ce moment, je suis applaudi par mes deux voisines, qui de leur balcon, me reluquaient du coin de l'œil en se disant va-t-il y arriver. Ouf, voilà une bonne chose de faite. Reste la prothèse qui aura passé toute la nuit dehors dans l'humidité. Dans quel état vais-je la retrouver ? Bonemine, qui décidément jamais à court d'idées, téléphone à notre fils aîné afin de savoir si à la compagnie des eaux où il travaille, il n'y aurait pas un détecteur de métaux. Une heure plus tard, notre fils se présente avec une « poêle à frire », engin comme on utilise pour détecter les mines. Sur place, il commence à balayer de gauche à droite, à ras du sol, les yeux rivés sur le cadran de l'appareil. Sans succès. En y réfléchissant bien, nous concluons que le détecteur ne saurait rien enregistrer étant donné que la prothèse est constituée d'une enveloppe en matière plastique. Nous sommes là, bras ballants, digérant mal notre échec. Soudain, sans trop savoir pourquoi, une intuition peut-être, Bonemine et notre fils, dans une chorégraphie parfaite, se dirigent vers une touffe d'herbes. Et là, oh miracle ! Ils découvrent la prothèse. Tout de suite, en la plaçant à l'oreille, je me rends compte qu'elle fonctionne parfaitement. Je suis heureux. Je vais encore pouvoir ouïr convenablement. À bon entendeur salut !

Jean de la Marck