Le caddie récalcitrant
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Pour moi, le samedi matin est un jour sacré. En effet c'est le jour des grosses courses pour la semaine à venir. Cela fait des années qu'il en est ainsi. Chaque samedi matin, ma grande argentière, c'est-à-dire mon épouse, prépare la petite liste des commissions, range les bouteilles de bière vides dans le sac rouge de mon super favori, puis alimente en argent frais, comme au gouvernement, le petit porte-monnaie bleu en s'assurant que la carte Happy Day s'y trouve bien ainsi que le jeton, brillant comme un sou neuf, permettant la libération d'un caddie.

Me voilà paré et fin prêt pour le grand départ. Mais, me direz-vous, pourquoi tant de rituel et d'empressement, alors que retraité il me serait certainement plus aisé de faire mes courses pendant la semaine ? Que voulez-vous, c'est une habitude prise du temps ou j'étais actif sur le plan professionnel et que je suis fidèle à mon petit super depuis sa création, il y a bien 35 ans de cela. De plus, au fil du temps, on rencontre les mêmes personnes, on se raconte les dernières nouvelles du jour ou de demain. Pour finalement se retrouver, en fin de courses, à la cafeteria pour prendre un pot.

Mais aujourd'hui, tout n'a pas tourné rond comme d'habitude. Que voulez-vous, il y a des jours ou rien ne va. Après avoir garé ma voiture, je me rends illico vers l'abri des caddies. Horreur et stupéfaction, le petit jeton tout brillant ne se trouve pas dans le petit porte-monnaie. Je fouille et farfouille dans toute la monnaie composée d'euros et de cents. Rien à faire il ne s'y trouve pas. Pas de pièces de deux euros non plus (elles ont le même gabarit que le jeton).

Seule alternative, me rendre aux caisses afin changer un petit billet contre de la monnaie. Là-bas, une binamèye caissière me donne un jeton. Je reviens aux caddies. J'introduis mon beau nouveau jeton dans le petit réceptacle. La chaînette ne se dételle pas du caddie. Je secoue, je tire, rien à faire c'est bloqué. Je retire le jeton et tente la même opération sur un caddie d'une rangée voisine. Oufti, la chaînette se libère. Je tire sur le caddie. Sans succès ! Il reste coincé dans celui qui le précède. Finalement, dans une troisième rangée, j'en teste un autre. Miracle, il se libère. Je sors de l'abri à reculons, je le fais pivoter pour partir de l'avant et me diriger gaillardement vers l'entrée de mon super. Mais, que m'arrive t'il, subitement j'entends un « chuit, chuit chuit » en provenance de la roue avant droite. Tout en avançant, je regarde et m'aperçois que cette roue a la tremblette. Énervé, je me dis « zut » tant pis je continue et pénètre enfin dans le magasin. « chuit, chuit, chuit, », je suis aux rayons des fruits et légumes. Je charge le caddie en me disant qu'avec le poids le bruit cesserait. Pensez-vous ! Rien n'y fait. Je quitte les fruits et légumes pour me diriger vers une allée voisine. Je prends mon élan pour virer. Surprise, non seulement cela fait « chuit, chuit, chuit » de plus belle mais, cerise sur le gâteau, le virage opéré pour entrer dans l'allée, ressemble tout à fait à un dérapage incontrôlé, car la roulette coince et refuse de tourner. Tant bien que mal, de dérapages en dérapages, de chuintements en chuintements, j'arrive au terme de mes emplettes et me dirige vers les caisses.

Il y a encombrement. En me dressant sur la pointe des pieds, je scrute et tente de repérer une de mes caissières favorites que je sais rapide dans le scannage des marchandises. Rien à faire, l'horizon est bouché. De plus en reluquant les caddies qui me précèdent, je constate qu'ils sont remplis à ras bord. Pas de chance, il faudra attendre avec patience et résignation. Finalement, j'opte pour la caisse 4. On avance doucement. Heureusement que l'on peut tailler une petite « bavette » avec ses voisins. Tout à coup, un appel : « épicerie, caisse 4, pour le prix d'un pot de marmelade aux abricots ». Je me dis, cela commence bien ! Ensuite « fruits et légumes, caisse 4, pour le prix d'un ravier de fraises ». Le préposé au rayon des fruits se présente, donne le prix : 1,39 euro et demande pourquoi on requiert ses services. La caissière lui répond que le prix n'est pas introduit dans la « machine ». Petit contretemps, mais cela n'a pas d'importance n'est-ce pas puisque je suis retraité et censé avoir bien le temps. Le meilleur reste à venir. La cliente qui me précède introduit sa carte de banque dans le lecteur. Rien ne se passe. Elle la retire, frotte la bande magnétique sur la manche de sa veste, la réintroduit. Toujours rien. Elle retire sa carte et annonce qu'elle va chercher son époux qui attend dans la voiture garée sur le parking. Le couple se présente au lecteur. Monsieur place sa carte bancaire. Dans la précipitation il se trompe de code. Il recommence l'opération et enfin on entend le « cric cric » libérateur du distributeur aux tickets.

Ouf ! C'est enfin mon tour. Tout se passe bien, comme sur des roulettes. Je paie mes commissions au moyen des espèces sonnantes et trébuchantes enfermées dans le petit porte-monnaie bleu. Je prends mon ticket de caisse qui, avec toutes les réclames imprimées dessus, ressemble au cours de la Meuse. Je peux enfin me diriger vers la cafeteria où m'attendent Maria, Félix, Ginette et Léna pour déguster et savourer une bonne petite bière cent fois méritée.

Jean de la Marck