La noisette Parmentier
Par Jean de la Marck
Chaque matin, en prenant mon petit déjeuner dans la cuisine, je contemple, par la fenêtre, le jardin qui s'étale devant mes yeux avec sa pelouse, bien tondue comme il se doit, ses plates-bandes fleuries, ses buissons d'hortensias et de lavandes, les oiseaux qui viennent picorer quelques graines, méfiants, sur le qui-vive, car le chat n'est pas loin, toujours à l'affût d'un mauvais coup. Je me dis, c'est quand même beau la nature. Ah ! On se sent bien.
Je ne suis pas particulièrement doué pour le jardinage ni féru d'horticulture. Je laisse ce soin à mon épouse qui n'a pas son pareil pour bouturer les géraniums en fin de saison, les chouchouter pendant l'hiver avant de les repiquer en pleine terre à la belle saison. Enlever les mauvaises herbes, avec une loupe, ce n'est pas mon for intérieur, non vraiment cela m'énerve. J'aime mieux procéder à de gros travaux, bêcher, transporter des terres ou élaguer les branches des noisetiers et des lilas envahissants.
Avec le temps, on devient plus sage et le jardin est un peu à notre image, notre miroir de vie, plus paisible, plus cool et surtout ne pas toucher à son ordonnancement. Au fil du temps, il n'en n'a pas toujours ainsi. Le jardin a subi moult transformations au gré de nos humeurs, de nos fantaisies, et des contraintes provoquées par des petits enfants avec qui il faut bien composer. Je ne vais pas ici vous décrire dans le détail toutes les mutations subies par notre petit coin de verdure. Je vais vous conter une anecdote qui en dit long sur mes connaissances horticoles et ma culture potagère.
Nous venions de créer la pelouse après de nombreux travaux d'arrachage, de bêchage et de roulage. De chaque côté de la pelouse, nous avions conservé deux bandes de terre afin d'y semer et planter des fleurs. Je ne sais pourquoi, mais une idée brusquement se fait jour. Je dis à mon épouse que ce serait peut-être bien de faire pousser quelques légumes dans les plates-bandes.
Idée assez saugrenue, j'en conviens, compte tenu tout d'abord de la surface cultivable, environ 4 mètres 2 et qu'en suite je suis tout à fait inculte en matière de cultures potagères. C'est ainsi que je décide de mettre en terre quelques lignes de pommes de terre et de déposer quelques semences de carottes. Vous sentez et imaginez tout de suite le topo ! Sitôt dit sitôt fait, je vais quérir des plants de charlotte et un petit sachet de semences de belles Nantaises. Je me mets à l'ouvrage. Je retourne la terre, le mélange avec un peu d'engrais rose, j'égalise, je ratisse puis genoux posés sur une planche je commence à planter. Façon de parler. J'ai en main un plantoir que j'enfonce profondément dans la terre. Puis dans le trou, je dépose délicatement une petite pomme de terre et je répète le travail tous les 10 cm devant les regards ébahis et admiratifs de mes voisins qui m'encouragent à persévérer par des « oh ! Jean, comme tu fais bien cela, où as-tu appris cette technique ? » Moi, fier comme Artaban je plante, plante et replante de plus belle. Lorsque tout fut en terre, admirant le travail accompli, je me dis, maintenant il n'y a plus qu'à attendre la récolte.
Pour tout dire, l'attente fut longue, très très longue. Souvent mes voisins prenaient des nouvelles de mes pommes de terre. Je répondais qu'il fallait un peu de temps pour qu'elles se développent, car c'était une variété tardive. Mises en terre en mars, quelques feuilles finirent par émerger en juin. Il fallait encore qu'elles grandissent et fleurissent. Finalement, je pus récolter le fruit de mon labeur vers le mois d'octobre sous la forme de petites billes remplissant péniblement une casserole de petite dimension. Je venais de créer la « noisette Parmentier ».
En ce qui concernait les carottes, ce fut dantesque. Suivant la photo imprimée sur le petit sachet, je devais obtenir de belles carottes bien longues et de belle couleur orangée. Malgré un feuillage bien fourni et bien vert, la récolte n'a pas répondu à mon attente. Ce fut même catastrophique. Un véritable film d'horreur. Les carottes ressemblaient à des acariens grossis des millions de fois, impropres à la consommation. Pour la potée à préparer avec les produits de notre jardin nous avons dû faire une croix dessus. Résignés devant l'ampleur du désastre, nous avons consommé les quelques petites billes en robe des champs avec une noisette de beurre. Afin de retourner le couteau dans la plaie, un de mes voisins, poussant la tête au-dessus la clôture, me lança, goguenard « Alors, Jean, la potée était bonne ».
Après cette expérience, non renouvelée, mon épouse et moi avons décidé de nous lancer dans la décoration florale de notre petit coin de terre.
Jean de la Marck