Hocheporte : mon école
Par Jean de la Marck
Mon école primaire est toujours là. Long bâtiment de briques rouges et de pierres de taille. Elle s'étend du dessus de la rue des Anglais à ce qui reste de l'ancienne place Hocheporte. Elle reste belle malgré les agressions du temps et le passage des vandales. Restructuration scolaire oblige, elle est à présent obsolète, vidée de son contenu. Il paraît qu'elle a été vendue à un groupe immobilier pour y aménager des appartements.
Je me souviens que la première fois où j'y suis entré, c'était à la rentrée scolaire de 1940, elle me semblait énorme, écrasante. On y pénétrait par une grosse porte à deux battants de couleur verte, munie de grosses poignées en cuivre bien astiquées. À l'intérieur, au rez-de-chaussée, on se trouvait directement dans un long couloir qui courrait le long de la façade : à gauche, tout au bout, il y avait la loge de la concierge et, sur le côté, un petit escalier en bois qui conduisait à l'étage près du bureau du directeur. Pour nous, c'était un escalier secret, on ne pouvait pas l'emprunter, on l'appelait d'ailleurs « l'escalier du directeur ». Ensuite, toujours au rez-de-chaussée, en allant de la gauche vers la droite, on trouvait la classe de première année, puis deux classes qui servaient de réfectoires et ensuite, la classe de deuxième année. Enfin, on débouchait sur un grand escalier qui donnait accès à la fois à la cour-préau située en contrebas et aux étages.
Au premier étage, en partant cette fois de la droite vers la gauche, on trouvait la classe de troisième année puis celle de quatrième puis celle de cinquième et enfin celle de sixième année.
Les classes étaient hautes de plafond avec de grandes fenêtres s'ouvrant sur la cour. Il y avait une estrade en bois avec le pupitre de l'instituteur. À cette époque, il n'y avait pas de tables individuelles, comme maintenant, mais bien de bons gros bancs en bois sur lesquels s'asseyaient les potaches que nous étions. On s'y installait à deux. La tablette de travail comportait un encrier de faïence situé dans la partie supérieure. Ce qui frappait d'étonnement le visiteur qui entrait dans une des classes, c'était les fresques murales en couleurs. Elles représentaient des scènes de la vie liégeoise à travers les âges ; personnages typiques, folklore, industries, monuments, la Meuse, l'Ourthe…
Au deuxième étage, nous ne pouvions y accéder sous peine de sanctions. En fait, il était occupé, le soir, par une école destinée à former des jeunes filles pour l'industrie de la cigarette et du cigarillo.
La cour comportait tout d'abord un préau carrelé et couvert au bout duquel se trouvait un grand urinoir. C'était une grande dalle de pierre bleue posée verticalement contre le mur d'enceinte et sur laquelle on faisait des concours du plus haut pipi. Juste à côté, bien alignés, il y avait une série de petits WC avec des portes basses et un WC pour les instituteurs avec une porte normale. Une partie de la cour était en terre, plantée de quelques gros marronniers. Autant vous dire que par temps de pluie, interdiction formelle d'y poser un pied. Au bout de la cour, il y avait une petite salle de gymnastique bien équipée. Malheureusement nous n'y sommes jamais allés ; pour cause de guerre, il n'y avait pas de professeur de gymnastique. À présent, il serait bon de dire un petit mot de ceux qui étaient chargés de nous communiquer leur savoir. Je veux parler bien entendu de nos instituteurs !
1ère année : classe de Monsieur Renson. J'en garde de vagues souvenirs : une voix douce, noir de cheveux, il portait des lunettes. C'était le tout début de notre alphabétisation, au moyen d'ardoises et de « touches » qu'on faisait crisser, sans oublier la petite éponge mouillée pour effacer les lettres écrites d'une main malhabile. Monsieur Renson faisait des expériences, comme par exemple, mettre du brou de noix à macérer dans de l'eau pour en tirer une teinture brun foncé, que l'on étalait sur des feuilles de papier. Lorsque nous avions été sages, nous étions récompensés par une partie de quilles organisée dans une allée, entre les bancs.
2ème année : classe de Monsieur Juprelle. Ayant changé de domicile au début de l'année scolaire, j'ai été inscrit dans une autre école. De ce fait, j'ai peu connu monsieur Juprelle. Ce dont je me rappelle : il était grand, avait une forte voix et de la jovialité. J'ai regretté de ne pas l'avoir eu comme instituteur, car la poursuite de mes études dans l'autre école n'a pas été des plus enrichissante. En effet, j'ai terminé péniblement ma deuxième année et à l'aube de la troisième année, voyant que je dépérissais comme une plante sans eau, mes parents ont décidé de me réinscrire à Hocheporte. Quel bonheur ! Pourtant je devais parcourir seul à pied un long chemin. En effet, à cette époque nous habitions rue Cathédrale. Mais qu'importe, je me sentais renaître dans un milieu que je n'aurais jamais dû quitter.
3ème année : Ah ! Quel plaisir ! Je revivais avec, comme cerise sur le gâteau, la présence de Monsieur Grisard, notre instituteur. Un monsieur calme, pondéré, souriant, grand amateur de marches dans les Fagnes. Il venait à l'école toujours coiffé d'un grand béret basque. Il avait une particularité qui nous amusait beaucoup. En effet, régulièrement sur la journée, il éternuait. Oh ! Pas un simple éternuement, mais des séries de 4 à 5 de suite. Très vite nous sommes entrés dans une sorte de jeu qui consistait à compter à haute voix le nombre d'éternuements. A chaque fois, avec un petit sourire en coin, il nous disait merci. Pour ma part, j'étais content d'avoir monsieur Grisard comme instituteur. Il m'a vraiment remis sur rails après tous mes déboires. Merci « Sieu ».
4ème
année : classe de Monsieur Gillet. Nous avions tous la trouille d'aller dans sa classe. Il était
impressionnant, bien bâti, basané, les cheveux durs et noirs, il semblait toujours taciturne. Et pourtant, nous
avons découvert un homme charmant. Amoureux de la nature, nous étions souvent dehors. On réalisait des études de
milieux : cueillette de champignons à Rocourt, visite du potager du colonel rue Xhovémont, inspection d'une
fourmilière. Il était passionné par les insectes.
Pendant cette année 43/44, on subissait des alertes suite à
des bombardements américains sur la ville. Nous descendions dans les caves. Monsieur Gillet, pour calmer nos
angoisses, nous racontait des histoires de coléoptères se battant dans les bois du Sart Tilman comme des preux
chevaliers. C'était un régal !
5ème année : classe de Monsieur Nicolay. Petit, les cheveux noirs ondulés, toujours vêtu d'un costume avec col et cravate, il faisait penser à un dandy. Il était d'une nervosité extrême. Une véritable pile électrique. À la moindre incartade de notre part, il réagissait au quart de tour, en gesticulant, en criant et parfois en trépignant. Malheureusement, pour cause de guerre, il n'a pas eu la possibilité de réaliser tout son programme de cinquième année. Beaucoup de matières importantes nous sont passées sons le nez. À la rentrée de septembre, l'école était fermée pour cause de libération et de dégâts au bâtiment. Petite rentrée en octobre puis arrêt des cours à cause des bombardements de V1, V2 et offensives des allemands dans les Ardennes. D'octobre 1944 à fin janvier 1945, nous n'avons pas eu cours. Difficile dans ces conditions de rattraper le temps perdu.
6ème année : classe de Monsieur Bonhomme. Petit, grassouillet, une petite moustache, il avait un aspect que son nom lui conférait. Les graves événements que nous avions connus les années précédentes s'étaient estompés, nous allions avoir avec monsieur Bonhomme, une année empreinte de sérénité, de joies et de travail. Monsieur Bonhomme était à la fois notre instituteur et le directeur de l'école. Avec lui beaucoup de travail, mais aussi des distractions : matchs de football sous le préau, avec lui comme équipier, courses relais dans la cour, et récompense suprême ; pour terminer la journée, il nous racontait les aventures du « Masque d'or ». Nous étions littéralement pendus à ses lèvres. Ah ! Quels beaux souvenirs.
J'habite toujours dans le quartier et quand je passe près de l'école, j'ai presque envie à chaque fois de lui faire une « clignette » pour lui montrer que je ne l'oublie pas et que je suis heureux d'avoir hanté ses murs.
Jean de la Marck