Mon premier tourne-disque
Par Jean de la Marck
Quelle ambiance ! Quel plaisir ! Quelle joie ! Nous sommes, quelques copains et copines, réunis chez Jeanjean. Assis sur le plancher en bois, bien ciré, de la chambre de Jeanjean, nous formons un cercle. Au centre, posée à même le sol, on découvre une boîte carrée avec un couvercle relevé à la verticale, un châssis comprenant : un plateau, un système d'entraînement ainsi qu'une sorte de tuyau coudé relié au couvercle et au bout duquel est fixée une tête de lecture appelée phonocapteur.
Nous avons donc en face de nous un phonographe, appareil permettant la reproduction de sons par des moyens mécaniques. Pour le fonctionnement, il faut tout d'abord remonter le ressort de l'appareil au moyen d'une manivelle placée sur le côté. Ensuite déposer, avec précaution, un disque en cire 78 tours, soulever le phonocapteur, y introduire une aiguille spéciale, et le déposer délicatement sur le bord du disque. En actionnant une petite lamelle en fer, on libère le ressort comprimé par les tours de manivelle.
Le démarrage se fait lentement, on entend de la musique au ralenti, puis prenant de la vitesse l'émission atteint un niveau normal. Parfois, en cours de lecture, il faut rendre quelques tours de manivelle afin de relancer la mécanique.
C'est ainsi que nous passons les succès à la mode : « Mademoiselle swing », « les trois cloches », « la chanson du maçon », « rhum rhum et coca-cola », « moonlight sérénade » j'en passe et j'en passe...
En discutant, entre nous, nous constatons qu'il existe, maintenant, dans des magasins spécialisés, des électrophones. Ce sont des lecteurs de disques fonctionnant à l'électricité et composés d'un tourne-disque, d'un amplificateur et d'un haut-parleur.
Moi, en ce qui me concerne, je rêve d'en posséder un. Aussi, pendant longtemps, j'ai « léché » les vitrines de chez « Actor », rue Cathédrale, « Sauvage radio », rue Sainte Walburge, « Maghin », Pont d'Avroy, « Ortéga », en Bergerue, pour découvrir ces inaccessibles appareils, étant donné le prix affiché. Trop cher pour mes économies et celles de mes parents.
Pour écouter les derniers tubes je branche la radio : radio Luxembourg ou l'INR, ou bien, avec des copains on s'agglutine au juke-box Wuritzler multicolore du luna-park « le youpie » situé dans les sous-sols de la salle des ventes « Le Régina » au coin du Pont d'Avroy et du Boulevard d'Avroy. Là, inlassablement, on écoute souvent les mêmes disques. Il est vrai que l'on n'a pas beaucoup de choix : « Rag mop » dix fois de suite, puis « Mes mains » de Gilbert Bécaud ou encore « Saint-Germain-des-Prés » de Jacques Hellian. A cette époque j'ai une quinzaine d'années. Il m'arrive, bien que n'ayant pas d'électrophone, d'acheter les dernières nouveautés.
Le temps passe et toujours pas de tourne-disque. Le jour de mon dix-huitième, je rentre de l'école, j'ouvre la porte d'entrée et, tout de suite, je suis accueilli par le « Mexico » de Luis Mariano. Je monte « quatre à quatre » les escaliers, j'entre dans le salon et là je découvre un superbe meuble pick-up (radio + tourne-disque à chargement automatique). Mes parents me souhaitent « bon anniversaire ». Enfin, après tant d'années d'attente, mon rêve se réalise ; j'ai mon tourne-disque.
Jean de la Marck