Les petits brancardiers du Parc de Naniot
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La bande des papous est installée sur l'herbe de leur terrain de jeux favori, en l'occurrence : le Parc de Naniot que les anciens appelaient familièrement la « briqueterie », en souvenir de l'endroit où l'on moulait de l'argile pour en faire des briques et que l'on cuisait sur place.

On discutait à propos de jeux à organiser. Quelques sujets étaient déjà écartés par suite de leur côté répétitif : le jeu de billes sous toutes ses formes, gendarmes et voleurs, les mousquetaires avec des duels dignes d'Artagnan et dont les épées étaient réalisées avec des branches d'acacias.

Croix-Rouge de Belgique
Croix-Rouge de Belgique

Tout à coup, quelqu'un suggère de jouer à la croix rouge. Tout le monde se regarde en se disant « bof » la croix rouge. Le copain expose alors son plan. Voilà, nous sommes en guerre, nous installons un hôpital de campagne, avec docteurs, infirmiers, infirmières et brancardiers. Certains d'entre nous vont figurer des soldats tombés au combat avec beaucoup de « on disait que ! », d'autres feront partie du corps médical.

Du coup nous voilà emballés. C'est décidé, pour l'après-midi, on apporte le matériel nécessaire pour cette aventure : une couverture, de vieux draps de lit, des compresses, de l'ouate, même de la « thermogène » pour réchauffer les muscles, de la teinture d'iode, du mercurochrome, de l'alcool normal et camphré et de l'éther. Quelqu'un apportera même une seringue dans une belle boîte métallique. La cerise sur le gâteau, c'est l'apport d'une sorte de petit brancard réalisé avec quelques planches fixées sur deux bras en bois.

Tout le monde est en place, l'hôpital est délimité par quelques branches d'arbustes avec un mat surmonté d'un fanion à Croix-Rouge sur fond blanc. Le personnel médical à son brassard Croix rouge. Chacun connaît son rôle. Au loin les soldats figurants prennent position. On imite par toutes sortes de cris, le tac à tac des mitrailleuses, les « boums » d'explosions de grenades. Et puis, soudainement, un cri « à l'aide, brancardier, par ici », un soldat vient de s'affaler. Les brancardiers se précipitent, chargent le blessé pour l'amener à l'hôpital.

Après deux heures de jeu, nous stoppons la bataille et établissons le bilan des éclopés. L'un porte un turban de gaze, maculé de rouge, sur la tête, un autre, un bras en écharpe. Posé à même le sol, un blessé aux jambes se tord de douleur.

Nous sommes contents, tout s'est déroulé suivant le scénario que nous avions mis au point. Tout en récupérant le matériel, disséminé un peu partout sur la plaine, il nous vient une idée lumineuse. Pourquoi ne pas rentrer chez nous en portant un « blessé » sur le brancard. Tous les regards convergent vers « Jeanjean » le plus petit d'entre nous bien évidemment. D'abord réticent, Jeanjean décide de jouer le jeu. On l'installe sur le brancard, le genou enrobé d'un gros pansement rouge de mercurochrome. On se met en route. Pour faire vrai, on demande à Jeanjean de crier « ouille, aie ». Les passants que nous croisons nous regardent, interloqués, puis sourient en comprenant la supercherie. Criant de plus belle, nous arrivons au domicile de Jeanjean. Alertée par les cris poussés par son fils, la maman vient à la fenêtre. En voyant son fils ensanglanté, la pauvre femme crie, éperdue, « oh mon dieu ». Elle descend les escaliers en quatrième vitesse et s'approche de nous tout affolée. À ce moment Jeanjean se dresse et lui dit « maman, c'est une blague ». La pauvre dame n'a pas du tout apprécié notre humour. C'est sur une engueulade bien sentie que nous nous sommes éclipsés avec notre brancard.

Jean de la Marck

Couverture de la brochure Sainte-Walburge et environs au XXe siècle - Souvenirs d'habitants

Paru en brochure

Ce récit a été publié au sein de la brochure Sainte-Walburge et environs au XXe siècle - Souvenirs d'habitants en page 29.