Mon parc... au fil du temps
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Ce sont les vacances scolaires de l'été 1945, j'ai onze ans. Mes parents m'ont inscrit pour participer à la colonie de vacances organisée dans le parc de Xhovémont situé sur les hauteurs de la ville de Liège. Cela ne m'enchante guère, de loin je préfère ma liberté d'action dans mon quartier de Hocheporte. Tant pis puisqu'il faut y aller, j'y vais, avec des pieds de plomb bien entendu. Heureusement, quelques copains seront eux aussi de la partie.

C'est ainsi que par un beau matin ensoleillé du mois de juillet, lesté d'un sac porté en bandoulière contenant un « dix heures », un repas tartines pour le midi et un « quatre heures », le tout accompagné d'une petite bouteille de « faro » (bière brune très très légère), je gravis la pente abrupte que constitue la rue Xhovémont. Vers le haut de la rue, je longe un long mur, haut de plus de deux mètres. Qu'est ce qu'il peut bien y avoir de caché derrière ce mur. En levant les yeux, je remarque de hauts arbres. Arrivé au sommet de la rue, je découvre la campagne, un environnement dont je ne soupçonnais pas l'existence. Devant moi s'étalent des cultures maraîchères et non le boulevard des Hauteurs comme actuellement. Pas de rond-point, pas de boulevard Léon Phillipet, juste un chemin de terre empierré de quelques gros pavés dits « têtes de mort ». La rue Xhovémont, quant à elle continue étroite et sinueuse, bordée de petites maisons ainsi que d'une petite chapelle, vers une place que j'aperçois au loin.

En me retournant, je me trouve devant une sorte de petit château, lieu de rassemblement de tous les enfants qui, comme moi, sont inscrits pour la colonie de vacances. Plus tard, ce bâtiment sera démoli et fera place à la grande école actuelle. Je pénètre, un peu hésitant dans ce manoir. Je me dirige vers un endroit d'où provient un tintamarre indescriptible. Voix d'enfants, voix d'adultes tentant d'imposer le calme. Je débouche enfin, dans une sorte de verrière. Et là, je suis soufflé, sourd des bruits répandus autour de moi, je contemple le paysage qui s'offre et s'étale devant moi. Voilà donc ce que cache le haut mur que j'ai suivi tout à l'heure. Je vois une grande pelouse en pente douce entourée de beaux arbres aux essences différentes : frênes, hêtre pleureur, chênes, tilleul, ifs, houx, marronnier, robinier, pommier, érables, ginkgo, séquoia. Tout en regardant émerveillé, je prends conscience de la présence d'un arbre assez curieux. Il n'est pas tellement haut, mais large, car ses branches ont plutôt tendance à pousser vers le bas. Son feuillage au reflet brun roux est très dense. Cet arbre, un hêtre pleureur, unique exemplaire du parc deviendra le coin de jeux préféré de plusieurs générations de « marmousets », facile d'accès grâce à ses branches basses, permettant de bien se cacher lors d'une « puce cache ». Que dire de la pelouse, bien tondue qui permet la pratique du football bien qu'il s'agit d'un terrain en pente. Plus tard cette pelouse sera raccourcie de 40 mètres pour permettre la réalisation d'une cour de récréation.

Finalement, à voir cette nature si proche de la ville, je suis heureux d'être en villégiature à cet endroit pour une quinzaine de jours.

L'école communale de Xhovémont-Philippet
L'école Xhovémont-Philippet

Le temps passe. Aujourd'hui, le petit château a fait place à une belle école. Le boulevard des Hauteurs, bordés de logis sociaux a remplacé les terrains maraîchers. Le long de l'école, on a créé le boulevard Phillipet qui relie le quartier Xhovémont à celui de Naniot. La rue Xhovémont, coupée par un rond-point, a été élargie. Les petites maisons ont disparu pour faire place à des blocs de logis sociaux, seule la petite chapelle rappelle le temps passé. Malgré tous ces bouleversements, le parc est toujours bien là. Les arbres se dressent fièrement en jouant leur rôle de poumon vert. Le hêtre pleureur, toujours à la même place, mais adossé au muret d'enceinte de la cour de récréation, fait la grande joie des écoliers. Le haut mur qui entourait tout le parc a disparu, le rendant accessible au public. Un chemin de promenade asphalté serpente à travers la pelouse. Beaucoup d'événements et de manifestations s'y sont déroulés au fil des ans. Tout d'abord, retenons en premier lieu, son occupation par les troupes américaines lors de la libération de la ville du joug allemand. En effet pendant un certain temps, une compagnie d'infanterie de la célèbre division « big red one » y a dressé son campement au grand plaisir des habitants du quartier.

Par la suite, après sa conversion en parc public, des concerts de musique classique et de jazz furent organisés. On a même eu droit à de petits bals populaires sur un plancher posé sur l'herbe. Belle époque ! Pendant trois années de suite se sont déroulées des courses de caisses à savon, petits engins montés sur quatre roues, carrossés suivant l'imagination parfois délirante de leurs auteurs. C'est ainsi que j'ai vu descendre à toute vitesse une baignoire et un lit à baldaquin. Cette course empruntait le chemin asphalté, fait de droites, de courbes et de virages très serrés. Nombreux étaient les concurrents qui se retrouvaient dans le décor après des sorties de route.

A une époque, encore très proche, lorsque le bonhomme hiver déposait son blanc manteau, le parc ressemblait à une petite station de sports d'hiver. Nombreux étaient les enfants qui s'adonnaient au plaisir de la luge. Il est vrai que la pente avec de la neige bien tassée se prêtait à de folles descentes, accompagnées de rires et de cris.

Maintenant, je remarque qu'après une averse hivernale, le parc reste désert. Je m'y rends avec mon petit-fils pour effectuer quelques descentes. Nous sommes les seuls sur la piste. Pourquoi cette désertion ? Les familles préfèrent se rendre dans les Ardennes où l'on peut pratiquer le ski alpin, le ski de fond, et le snowboard ainsi que la luge sur des pistes beaucoup plus longues équipées de remonte-pentes. De ce fait, le parc récupère une certaine quiétude qui sied parfaitement à son environnement. Malgré tout, je reste nostalgique des parties de traîneaux d'antan.

Facile d'accès, le parc fait la joie de nombreux visiteurs : promenade de « mirza », mamy assise sur l'herbe avec le petit dernier, élèves d'écoles du quartier étudiant de près la faune et la flore. J'y passe souvent pour me rendre à la bibliothèque toute proche afin d'y respirer un bon bol d'air, car notre parc, c'est le poumon de notre quartier.

Jean de la Marck