Fête de la Montagne Sainte-Walburge
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Occultées par quatre années de guerre, les fêtes de quartier resurgirent comme par enchantement dès la paix revenue. La libération du pays avait déjà engendré une liesse populaire jamais vue. Sur cette lancée, les gens aspiraient à faire la fête.

La Montagne Sainte-Walburge n'est pas la dernière à enclencher le turbo des festivités. Déjà en 1946 quelques personnes bénévoles et dévouées se réunissent et mettent sur pied pour l'année 1948 un programme de fête de quartier qui coïnciderait avec la fête paroissiale de Saint-Servais ; celle-ci se déroulant au mois de juin. Un comité est créé, afin de répartir les tâches entre chacun des membres. Une trésorerie est constituée. Dame, une manifestation d'une certaine importance demande de l'argent, beaucoup d'argent. Une participation aux frais est réclamée à chaque riverain. Et en juin 1948, la fête peut commencer. Frappons les trois coups !

Tout d'abord, on décore la rue en fixant au travers de la chaussée des centaines de guirlandes confectionnées au moyen de petits drapeaux triangulaires de différentes couleurs. De plus, on fixe, sur plusieurs façades de maison, de petites potences en bois munies d'ampoules colorées que chaque riverain concerné alimente en électricité le soir venu. Vue du bas, la Montagne Sainte-Walburge est magnifique. On aurait dit qu'une toiture aux tuiles multicolores avait été posée par-dessus la rue. 

Vers le milieu de la montée existe une grande bâtisse, genre maison de notaire, entourée d'un parc arboré et appelé « Salle des vents ». Aujourd'hui, ce bâtiment est devenu la maison de repos Sainte Elisabeth. Quant au parc, il a fait place à de nombreuses constructions privées. Cette « Salle des vents » va servir, pendant toute la durée des festivités, de quartier général au comité des fêtes.

On va y organiser toutes sortes de réjouissances telles que : crochet radiophonique, jeu de la devinette, et bien entendu un bal musette presque journalier. Une permanence radio y est installée et diffuse à l'extérieur, au moyen de haut-parleurs disposés sur les façades des maisons, les succès du moment ainsi que des chansons demandées et dédicacées. « Maria de Bahia », « La danse du Spirou », « La bombe atomique », « Joseph est au Brésil », « In the mood » et « The Moonlight sérénade », constituent le hit-parade de l'époque. Le top 10 comme on dit maintenant. Au sujet des chansons dédicacées, une famille, dont le fils accomplit son service militaire, demande que l'on diffuse, contre participation financière, la chanson : « Ah quel plaisir d'être soldat ». À entendre ce refrain plusieurs fois par jour, c'est à vous dégoûter de l'armée.

En plus de la musique diffusée par haut-parleurs, il y a une petite fanfare qui sillonne la rue, la couvrant de ses flonflons. Parfois, pour ne pas dire souvent, elle s'arrête devant les magasins, donne un petit concert, absorbe une petite goutte de pekêt et repart de plus belle vers d'autres lieux…

Sur la rue, des jeux sont organisés : courses de sac, jeux de quilles, saut à la corde. Une épreuve cycliste est même mise sur pied. Elle consiste pour de jeunes débutants à gravir la montagne dans les temps les plus courts. Départ en face de l'hôpital des Anglais et arrivée au-dessus du Thier Savary. Vu le degré de pente, cela fait mal aux mollets. Toutefois, une bonne récompense calme aussitôt la douleur. Chaque soir, dans la « salle des vents » il y a un bal musette (accordéon + batterie) et un crochet radiophonique. Ce dernier consiste en un concours de chanteurs amateurs : des candidats montent sur scène pour y interpréter une chanson. Le public est seul juge des qualités vocales du candidat ou de la candidate. Si un candidat chante faux ou possède une voix de casserole, il est aussitôt hué par le public  et un coup de gong met fin à sa prestation. Le gagnant est celui qui obtient les faveurs du public suivant le nombre et l'intensité des applaudissements.

Un autre jeu organisé sur scène est le jeu de la devinette : le candidat, les yeux bandés, doit découvrir un objet. Il pose des questions et le présentateur lui répond par quelques indices afin de le mettre sur la bonne voie. Parfois l'assemblée croule de rire, aux dépens du pauvre candidat, en entendant les questions, parfois saugrenues vu l'objet présenté. Je sais de quoi je parle, car j'en ai été victime. Un soir je monte sur scène, on me bande les yeux et je commence à poser les questions habituelles : « Est-ce pour manger ? », Est-ce dur ? » Est-ce mou ? », « Est-ce liquide ? », « Est-ce pour boire ? », et là, on me répond « oui : le contenu du contenu ». Comme le présentateur montre l'objet, le public n'arrête pas de rire. Ne sachant plus que dire et estomaqué par la réponse, je suis tétanisé ; les gens rient de plus belle surtout lorsque le présentateur place l'objet sur ma poitrine. Je comprends alors qu'il s'agit d'un soutien-gorge...

Un autre grand moment délirant est la formation d'un « cråmignon » qui descend de la « Salle des vents » tout en serpentant à travers la chaussée, pour aboutir dans le magasin des Pompes funèbres situé juste en face de l'hôpital. Pendant un long moment, alimenté en « pekêt » par le propriétaire des lieux, les gens caracolaient entre les cercueils sur l'air de « Maria de Bahia » (samba très endiablée) ; on est très loin d'une danse macabre !

Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, il faut bien la mort dans l'âme, se résigner à éteindre les lampions, enlever les guirlandes, décrocher les potences et ranger la salle des fêtes. La rue retrouve alors son aspect initial et l'on se promet de se retrouver l'année suivante avec autant d'ambiance et de ferveur.

Malheureusement, je n'ai pas le souvenir d'une continuité dans la mise sur pied d'une telle fête. Peut-être parce que c'était une première et qu'elle a effacé les souvenirs des suivantes. D'ailleurs, je ne suis pas certain qu'il y ait eu des suivantes ! Pour moi, avec mes yeux d'adolescent, elle restera la seule et l'unique.

Jean de la Marck