Streupas, Pané-Cou Plage, été 47
Par Jean de la Marck
En ce début de juin 1947, nous avons droit à un beau soleil dans un ciel bleu azur. Une très belle journée en somme.
Soudain, la sonnerie de fin de cours retentit dans les bâtiments de l’école moyenne Jonfosse, mettant un terme, ce samedi midi, à une semaine éprouvante d’examens de fin d’année. Tous les élèves se lèvent bruyamment, rangent les cahiers, livres et plumiers dans les mallettes et se précipitent en désordre dans les couloirs, rappelés à l’ordre par les professeurs qui tentent de former des rangs.
Je suis pressé de descendre les grands escaliers qui mènent à la cour de récréation pour me ruer vers mon vélo rangé dans un petit local prévu à cet effet. Car, aujourd’hui c’est un grand jour. Je ne rentre pas directement à la maison. Je vais rejoindre Mèmère Guerite et mon petit cousin Marcel qui sont déjà installés depuis une quinzaine de jours dans la « baraque » (maintenant on dirait pompeusement un chalet) située sur l’île de Panê-cou Plage à Streupas-Angleur. Le temps de suspendre la mallette à la barre horizontale de mon vélo, Hop ! En selle ! D’un coup de pédale énergique, je démarre et me voilà déjà empruntant allègrement le boulevard de la Sauvenière puis la rue de l’Université, où passent les trams verts qui vont vers Seraing. Je traverse la Place du XX Août pour aboutir au pont Neuf ( pont Kennedy ) qui enjambe la Meuse. Depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, ce pont, toujours provisoire a été construit en bois. Je passe la Meuse, tourne à droite, prends le quai Churchill et file vers la Place d’Italie. Je longe le jardin d’acclimatation qui, des années plus tard abritera le palais des Congrès et l’Hollyday-inn. Par la piste cyclable du quai Mativa, j’aboutis au pont de Fétinne, l’emprunte pour me retrouver sur le quai du Condroz.
Vous allez peut être me dire pourquoi faire tout ce parcours ? La raison est toute simple ; au temps où je vous parle, il était impérieux de choisir son itinéraire car de nombreux ponts n’étaient toujours pas reconstruits. Quai du Condroz je découvre plusieurs bâtiments détruits, suite aux bombardements des quartiers Fragnée, Fétinne et Vennes, en août 44 par l’aviation alliée. En longeant les ruines de l’Institut Gramme et celles de l’usine des Conduites d’Eau (Belle-Ile actuel) je ne me sens pas très à l’aise. L’endroit est sinistre et je constate l’effet dévastateur des bombes. Je suis angoissé, aussi, je pousse de toutes mes forces sur les pédales afin de laisser loin derrière moi ce paysage de désolation. Bien que la guerre soit finie depuis 2ans, j’ai la nette impression que les sirènes vont se mettre à hurler annonçant un prochain raid des avions. Je me raisonne. Non, cela n’est plus possible. C’est du passé. N’empêche que….. !
Sauvé, j’arrive enfin au bout du quai où se trouve la gare d’Angleur. Je ne suis plus très loin de ma destination. Encore la rue de Tilff à parcourir et me voilà à Streupas. Pour accéder à « Panê-cou plage », je dois tout d’abord franchir les voies du chemin de fer de la ligne de l’Ourthe, protégées par un passage à niveau à barrières. Ensuite, arrivé au bord du petit canal de l’Ourthe, je passe un petit pont qui enjambe le sas de l’écluse qui permet le passage de petits bateaux à fond plat destinés au transport de fournitures et de produits finis d’une petite usine située à Sauheid.
Je m’arrête un instant, les bras appuyés sur le guidon du vélo et contemple le paysage qui se présente devant moi.
Panê-Cou Plage
Je suis là, perdu dans mes pensées en tentant de me rappeler quelques souvenirs de ma petite enfance. Déjà à l’âge de deux ans et demi, je venais passer les dimanches d’été avec maman, Mèmère Guerite et tante Nenette (la sœur de ma mère) en cet endroit qui fût pour beaucoup de Liégeois, avant la seconde guerre mondiale et quelques années après, un lieu de détente où l’on pouvait s’aérer et nager dans l’Ourthe à quelques pas de la ville. Chaque dimanche, le trolleybus 26, ligne de Streupas, déversait son flot de citadins, de même que le numéro 30 de la ligne d’Embourg dont les passagers devaient emprunter le bac pour traverser l’Ourthe pour accéder à la plage.
Mais pourquoi ce nom curieux de « Panê-cou plage » En wallon, « Panê-cou » veut dire pleutre ou poltron. Ce n’était pas le genre des personnes qui fréquentaient la plage. Je préfère la définition de Mèmère Guerite, qui doit être la bonne, prétendant qu’avant la guerre, les hommes ne se promenant pas en petite tenue comme à l’heure actuelle, évoluaient avec la chemise hors du pantalon. Comme celle-ci avait un long pan qui battait les fesses tout en marchant on les avait surnommés des « Panê-cou » (pan sur le derrière). Aujourd’hui cet accoutrement ferait sourire, mais à l’époque c’était une provocation voire un délit.
Passé le petit pont sur l’écluse, un seul regard suffit pour embrasser ce coin pittoresque constitué d’une île en forme de triangle délimité par l’Ourthe et le petit canal portant le même nom.Un coup d’œil à gauche me permet d’apercevoir le grand déversoir de Streupas ainsi que les « Laminoirs de l’Ourthe » dont les eaux de la rivière servent au refroidissement des coulées de métal en fusion, provoquant, au moment de l’opération, l’assèchement du déversoir permettant aux garnements que nous sommes de réaliser, à la main, des pêches miraculeuses de poissons divers.
Devant moi, je découvre, légèrement surélevé par rapport à la berge de la rivière, un verger planté de quelques arbres fruitiers et parmi lesquels sont installées les « baraques » de « Panê-cou plage ». Certaines font face à la rivière, d’autres sont situées vers l’intérieur, face au terrain de football. Toutes sont peintes de couleurs vives, parfois d’une seule teinte, mais la plupart sont bicolores comme par exemple une planche rouge puis une planche jaune etc….
Sur la droite, on trouve un enclos, entouré de fils de fer barbelés, dans lequel sont parqués des moutons, jouxtant un terrain de football sur lequel, en été, les citadins viennent, le week-end, planter leurs tentes. Pendant la semaine, les moutons sont lâchés pour brouter l’herbe du terrain servant ainsi de tondeuses à gazon. Bien entendu ils y laissent des traces de leur passage qui se retrouvent, au grand dam des mamans, sur les vêtements des enfants se défoulant dans les herbes.
A côté du terrain de football et faisant face à la rivière se situe le cœur de « Panê-cou plage » avec sa petite plage herbeuse descendant doucement vers l’eau, ses cabines de déshabillage, et une construction en bois peinte en vert et blanc, que l’on appellerait aujourd’hui cafétéria, précédée d’une terrasse couverte servant de piste de danse. Avec un peu d’imagination, on pourrait se croire, en voyant cet ensemble, se trouver dans une guinguette du Val de Marne en France.
Après mon petit tour d’horizon, bien nécessaire, car à l’heure actuelle, ce site un peu mythique pour quelques
Liégeois nostalgiques n’existe plus,je descends la pente du petit pont de l’écluse.
Et, longeant la berge
j’arrive devant la « baraque » de Mèmère Guerite. Elle est installée juste en face du passeur d’eau dont le bac fait
la navette entre « Panê-cou plage » et la route d’Embourg empruntée par le trolleybus 3O (aujourd’hui cette route a
disparu pour faire place à l’autoroute des Ardennes).
La baraque
A l’origine, les baraques de « Panê-cou plage » servaient de remises pour du petit matériel tel que : petite table, sièges pliants, transats, parasols, petits réchauds à alcool pour chauffer un peu d’eau pour le café. Pour beaucoup, il n’était pas question d’y loger. Mais après la guerre, les gens aspiraient à un peu de liberté et un grand besoin de s’aérer. Nous étions très éloignés des vacances que nous connaissons maintenant. Quelques jours de congé seulement. Par manque de moyens de locomotion, il était impossible de partir à l’étranger. Aussi, les propriétaires de « baraques « commencèrent à les équiper de façon à pouvoir y loger pendant quelques jours. Certes, ce n’était pas le grand confort mais les gens étaient heureux d’être un moment libérés des contraintes quotidiennes consécutives aux séquelles de la guerre.
Celle de Mèmère Guerite, pimpante avec ses planches peintes en rouge et jaune, est composée deux baraques mises une derrière l’autre. Sur le devant, il y a une terrasse à côté de laquelle il y a un grand poirier « légipon » dont le feuillage offre une protection efficace lorsque le soleil est un peu trop ardent. Par contre, on ne peut tout avoir, on est envahi par les guêpes lorsque les poires sont mûres et tombent de l’arbre.
L’équipement à l’intérieur est assez simple voir rudimentaire et ne correspond en rien aux commodités actuelles. Pas d’électricité, l’éclairage est fourni par un quinquet fonctionnant au pétrole. Pas de distribution d’eau, on va la chercher chez le passeur d’eau au moyen d’une cruche. Il n’y a ni frigo ni glacière. Les aliments et boissons sont conservés dans une fosse creusée dans le sol sous le plancher de la baraque. L’accès s’opère en soulevant une trappe. C’est dans cette fosse que Mèmère Guerite met au frais de grandes bouteilles de « citronné » sur lesquelles elle veille jalousement car, très économe voire « « piscrosse » (avare) elle distribue les rations avec parcimonie. Aussi lorsque j’ai très soif et envie d’un petit coup de « citronné » je profite d’un moment d’inattention de sa part, pour m’introduire dans le logis, en rampant comme un indien, pour accéder au précieux breuvage et me désaltérer jusqu’à plus soif. Mais, gare si je me fais attraper. Alors, je ne trouve mon salut que dans une fuite éperdue accompagnée d’une pantoufle savamment lancée.
Pour la préparation d’un modeste repas, Mèmère Guerite dispose de deux petits réchauds fonctionnant à l’alcool. Les bouteilles de gaz butane apparaîtront plus tard. Il n’est donc pas question de réaliser un banquet. Par la suite, mon oncle Louis installera, dans une alcôve accolée à la « baraque », une cuisinière à charbon munie d’une buse verticale pour l’évacuation des fumées. Fumées, bien entendu qui se répandront dans le voisinage. Aussi, Mèmère Guerite afin d’éviter tout conflit et en bonne diplomate proposera aux proches voisins de venir préparer leurs frichtis sur son fourneau. Il est vrai aussi qu’en ce temps la solidarité entre les personnes n’était pas un vain mot.
Le gros problème de » Panê-cou plage », ce sont les sanitaires. Ils sont aux abonnés absents étant donné qu’il n’y a pas d’égouttage sur l’île. Pour tout vous dire c’est la débrouille la plus complète. Vous me comprendrez aisément. Il y a bien une série de 5 cabines installée à proximité du terrain de football dont l’accès se fait au moyen d’une clef que l’on va chercher à la guinguette contre paiement de 25 centimes (de l’époque). Autant vous dire qu’il faut s’armer de courage et avoir un besoin naturel urgent pour affronter des toilettes dégageant des odeurs nauséabondes. On est fort éloigné du WC chimique.
Aussi, afin de nous éviter des allées et venues vers cet endroit rebutant, mon oncle Louis , en bon bricoleur, avait en son temps, réalisé une petite cabane d’aisance, entre deux baraques voisines, la nôtre et celle d’une amie de Mèmère Guerite. Elle était très rudimentaire, une planche percée d’un trou, un bac en bois recouvert, à l’intérieur, d’une feuille de zinc, un morceau de fil de fer auquel étaient accrochés des petits carrés de papier journal, le scotch et le moltonel n’existaient pas, dont la lecture permettait de nous instruire et d’être informés. Sans oublier le couvercle rond, muni d’un bouton, permettant l’obturation du trou d’aisance afin d’éviter un déferlement d’effluves malodorantes Dans la porte, peinte en rouge, mon oncle avait découpé un petit cœur en guise d’aération. Tous les soirs avec Mèmère Guerite, je suis de la revue pour la corvée vidange. A deux, nous transportons, en veillant bien à ne rien renverser, le lourd bac jusqu’au déversoir heureusement assez proche, dans lequel nous procédons au « tout à l’égout « ou plutôt le « tout à l’Ourthe ». Comme vous le constatez, la vie était très « nature » mais qu’est ce qu’on s’amusait bien !
Les jeux
Pendant les vacances, Panê-cou plage constitue pour les enfants un fameux terrain d’aventures. Il y a la rivière, le terrain de football, le verger avec ses arbres fruitiers. De plus on peut aussi rayonner, comme partir à l’assaut de la plaine du Sart Tilman toute proche, ou se balader en vélo (pour les privilégiés qui en possèdent un) le long de l’Ourthe jusque Colonster et son Lac aux Dames. Parfois on pousse jusque Tilff, histoire de se plonger dans un endroit considéré par nous, à tort,fréquenté par des snobs. Si l’on se sent bien dans les jambes on grimpe la côte d’Esneux. Exploit comparable à la montée du Mont Ventoux dans le tour de France.
Nous passons beaucoup de temps soit dans l’eau soit sur les bords de la rivière. Nous avons de longues périodes de pêches pendant lesquelles, tels de petits « Marcatchous » nous taquinons la « rossette » (le gardon), le chevesne, voire la perche. En fin de compte on attrape souvent des ablettes et des goujons. Pas de quoi pavoiser. Au monsieur qui nous demande ce que l’on a attrapé, nous répondons « Un coup de soleil » en riant sous cape. Un de nos sports nautiques favori, c’est la pêche à mains nues dans le grand déversoir. Pendant la semaine, lorsque les Lami noirs de l’Ourthe sont en activité, ils procèdent deux à trois fois sur la journée au détournement du cours de la rivière afin de profiter d’une eau froide et abondante pour refroidir les laminages de tôles. Cette action a pour effet d’assécher le déversoir pour notre plus grand plaisir. Car, sitôt le dernier filet d’eau coulé, nous nous ruons dans le fond du déversoir afin d’opérer une chasse manuelle, car de nombreux poissons n’ont pas la chance de s’échapper de petites mares formées entre des blocs de granit. Parfois nous avons des pêches miraculeuses au cours desquelles nous prenons des « rossettes », barbeaux, hotus, perches et parfois une malheureuse petite truite arc-en-ciel. Il nous arrive de prendre une anguille, mais cette opération demande du doigté car l’anguille se cache et se faufile entre les blocs de granit. Très difficile de la maintenir entre les mains, c’est pourquoi nous utilisons une fourchette pour lui piquer la tête lorsqu’elle a, pour son malheur, la curiosité de sortir de son repaire.
>Mais, brusquement l’eau se remet à couler de plus en plus fort. Il est temps de mettre les bouts, au risque, en s’attardant de trop, de se faire prendre dans de terribles remous.
Autre activité pratiquée, est le canotage. Très inaccessible pour la plupart d’entre nous, car les embarcations sont plutôt rares. Pas de canoës, pas de canoës-kayaks, de kayaks,ou de pédalos comme on en voit aujourd’hui sur tous les lacs et rivières à courant. Quelques privilégiés possèdent une périssoire (embarcation longue et étroite), mais ce sont surtout des personnes qui, le dimanche soir, descendent la rivière jusqu’à Chênée en provenance de Tilff ou Esneux et ne font que passer à » Panê-cou plage » sous nos regards admiratifs. Pour naviguer, j’ai trouvé une solution. En allant fouiner sur le Sart-Tilman, j’ai découvert des « Jerry-can » (bidon à essence) abandonnés par l’armée américaine lors de son passage et son installation provisoire sur le site. Fier de ma découverte, je les ai amenés à Panê-cou plage et, avec l’aide de copains nous avons construit un radeau en utilisant 4 « jerry-can » en liant les poignées l’une à l’autre au moyen de fil de fer. Puis nous avons posé un morceau de contreplaqué recouvert de balatum en guise de siège. Avec un vieux manche de brosse nous bricolons une pagaïe double. Ensuite mise à l’eau et vogue la galère. Cela flotte et même très bien. Evidemment cela ne fend pas l’eau comme une périssoire, mais nous naviguons. Nous faisons de petites balades en remontant le courant jusqu’au Mava Club situé à Sauheid en passant devant l’usine des Presses Raskin (réputée mondialement pour la qualité de son matériel). Notre radeau nous sert à pêcher dans des endroits difficiles d’accès ou parfois au milieu de la rivière en prenant garde de ne pas se faire attraper par le garde des eaux.
Un voisin proche qui possède une périssoire m’autorise, parfois, à l’emprunter. Fier comme Artaban, je pagaïe, décontracté en longeant la berge herbeuse devant la « guinguette » où je sais trouver la gent féminine devant laquelle je fais le « Jean-Jacques ». Il arrive que j’invite à bord une jeune nénètte pour une petite promenade nautique.
Il m’arrive aussi de donner un petit coup de main au passeur d’eau. Pourtant, faire avancer un gros bac chargé de personne n’est pas une mince affaire. Il faut de bons biceps pour souquer ferme sur le sabot glissant et se calant, à chaque mouvement de va et vient, le long d’un câble conducteur maintenu en place au moyen de petites roulettes fixées sur le bord du bac. Si mes souvenirs sont exacts le prix d’un passage était de l’ordre d’un cent actuel.
Maintenant place au football ! Nous avons le terrain, bien fertilisé par les moutons, nous avons les joueurs, mais nous n’avons pas toujours l’objet principal pour pratiquer, c'est-à-dire : un ballon. Il est vrai qu’à l’époque dont je vous parle, comme la matière plastique n’existait pas, il n’y avait pas profusion de ballons. Parfois une malheureuse petite balle de tennis faisait l’affaire. Pourtant dans la baraque de Mèmère Guerite il y en a un. Un petit ballon en cuir que mon oncle Louis, grand amateur de football et supporter acharné du RFC Ans, a offert à son fils de 4ans, mon petit cousin Marcel. C’est ainsi qu’il m’arrive de le subtiliser à mes risques et périls. Car il s’agit d’une chasse gardée sous la vigilance de mon cerbère de grand’mère. Dès que j’ai l’objet de convoitise entre les mains, je m’élance et je file vers le terrain. Tout de suite, on rameute les copains, on fait les équipes en « potant ». La partie peut commencer. Seulement,voilà, après une dizaine de minutes de jeu, je vois apparaître de loin, la petite silhouette de cousin Marcel. Il nous observe, se rend compte que l’on joue avec son ballon, fait demi- tour et court avertir Mèmère Guerite de ce qu’il a vu. Cela ne tarde pas, en peu de temps, à grandes enjambées, tenant par la main un cousin Marcel pleurnichard, Mèmère Guerite fonce dans le groupe et prend le ballon sous nos regards interdits. Le ballon sous le bras, elle s’en retourne vers la « baraque » en me lançant « grande bièsse qu’i’v’s’esté, fé tchoulé l’èfant insi » (grande bête que vous êtes, faire pleurer l’enfant ainsi). Du coup, bras ballants, nous nous regardons. Que faire à présent ! C’est trouvé ! Nous allons jouer à une puce-cache entre les « baraques » et, le moment propice, j’irai chercher le ballon pour une nouvelle dizaine de minutes footballistiques.
Pour moi les vacances se déroulent au fil du courant de l’Ourthe si proche et si présente et pas toujours tranquille. Mais, tout à une fin et cette fin surgit presque sans prévenir comme un orage qui éclate subitement. Maman Jeanne vient me chercher pour aller passer les quinze derniers jours d’août à la mer du Nord, plus précisément à Coq sur Mer (De Haan pour faire plaisir à monsieur Leterme dit Lagaffe) dans la villa appartenant aux Grands Magasins de l’Innovation dont ma mère fait partie du personnel. C’est la catastrophe, abandonner « Panê-Cou Plage », vous vous rendez compte ? Quel déchirement, quel crime ! Quitter les copains, mon radeau, mes pêches, mes séances de football interrompues constamment par cousin Marcel. Comment vais-je survivre !
Enfin, puisqu’il faut y aller, allons-y. Pour tout vous dire, sérieusement et honnêtement, mon séjour à la mer s’est plutôt bien passé. Autre climat, autre ambiance, je me suis adapté à la situation et en fin de compte je me suis bien amusé, oubliant quelque peu mon « Panê-Cou Plage ». Ne croyez pas que je l’ai renié. Au contraire, il reste pour moi un petit coin de paradis, aujourd’hui sacrifié sur l’autel autoroutier des Ardennes. Aussi lorsque je suis sur l’autoroute et que je passe à proximité du site envahi par la végétation, je vois des « baraques » aux couleurs vives à travers les branches des arbres. Qui sait, peut-être d’autres que moi ont la même vision !
Jean de la Marck