Raymond, un résistant très discret
Par Jean de la Marck
Il y a quelque temps, mon épouse était occupée à mettre de l'ordre dans une vieille garde-robe, contenant des effets personnels de sa mère. Enfoui, derrière des vêtements, elle découvre un sachet en matière plastique bien rempli. Intriguée, elle le prend, l'ouvre, et constate qu'il contient un nombre impressionnant de feuilles dactylographiées et de lettres manuscrites jaunies par le temps. Mais, ce qui attire surtout son attention, c'est la vue d'une carte d'identité française dont le nom du titulaire lui est inconnu, sauf la photo qui représente son père. Les autres documents sont relatifs à des demandes d'intervention adressées à différents ministères et groupes patriotiques. Les lettres manuscrites sont des attestations,de particuliers, relatant des faits de résistance de son papa.
Bien entendu, mon épouse savait que son père avait fait de la résistance. Mais la découverte de ces documents jetait un nouvel éclairage sur ses activités réelles. Elle se rappelait ses longues absences, ses visites nocturnes et furtives et puis surtout les perquisitions traumatisantes de la Gestapo et de la feldgendarmerie. Après la guerre,il ne racontait jamais ses faits et gestes et sa maman, sans doute marquée par ces périodes de craintes, de peurs et de larmes, n'a rien dit non plus.
Philémon, mais tout le monde l'appelait Raymond, car il n'aimait pas son prénom, a été arrêté, comme otage militaire, par les Allemands en janvier 1942 et incarcéré avec d'autres compatriotesà la citadelle de Liège. Faisait- il déjà partie de la résistance ? Nul ne le sait ! Empêché par l'ennemi de prendre des vêtements chauds, il n'était vêtu que de légers effets d'intérieur. Ce détail est très important, car c'est dans le froid d'un lavoir qu'il contractera un refroidissement qui aura de funestes conséquences. Après cinq jours de détention à la citadelle de Liège, il fut transféré à la sinistre et humide citadelle de Huy. Ce séjour lui fut extrêmement pénible, toujours sans vêtements chauds, sans colis, sans soins. Est-ce pendant son séjour à Huy qu'il adhéra aux mouvements de résistance ? Nul ne le sait !
En février 1942 il est libéré. À partir de ce moment, il est difficile de suivre sa trace. Une chose est sûre, il fait partie d'un service de renseignements vraisemblablement le groupe « Clarence « Il s'occupe également du passage de clandestins tels les aviateurs et militaires alliés à la frontière française. Il opère dans la province du Luxembourg, région de Muno. Il fait de fréquentes apparitions en France, car il possède une carte d'identité française, délivrée , sous un faux nom, par la ville de Longwy-bas.
À partir d'ici, on peut imaginer ses divers parcours, s'effectuant souvent la nuit, à travers bois et par tous les temps, souffrant terriblement d'asthme qui l'oblige à de fréquentes haltes chez des habitants de confiances. Une fois, alors qu'il traverse les bois avec un aviateur, ils sont poursuivis par une patrouille allemande, accompagnée de chiens. Au cours de leur fuite, Raymond se fait mordre par un des chiens. Ayant pu se fondre dans la nuit avec son précieux colis, il refuse de se faire soigner et continue sa route vers la France.
À plusieurs reprises la Gestapo et la feldgendarmerie allemande se présentent à son domicile afin de l'arrêter. Ils sont très bien renseignés sur les activités de Raymond. Prévenu, il a le temps de disparaître dans la nature pendant près de neuf mois, car la filière est brûlée et de nombreuses arrestations ont été opérées.
Après la libération, il reste secret sur ses activités passées à un point tel qu'il ne sollicite aucune reconnaissance, même comme résistant armé, prisonnier politique, service de renseignements actif voire invalide de guerre. Et pourtant, c'est l'asthme contracté pendant sa détention dans les geôles allemandes qui aura raison de ses forces le 3O mars 1951. Son épouse a dû se battre pour obtenir le droit d'être veuve de guerre.
J'aurai bien aimé rencontrer cet homme, ce résistant, tout simplement. Six mois après son décès je faisais connaissance de sa fille aînée qui deviendra mon épouse.
Jean de la Marck