Mon beau nouveau pantalon
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Il m'arrive, comme je suppose à tout un chacun, de me remémorer certains faits ou événements qui ont marqués une période de mon existence. Un geste, une conversation, un fait divers font brusquement resurgir une image du passé que l'on croyait enfuie à jamais.

Un jour que je parcourais des yeux un bon vieux Tintin, quelque chose attira mon attention. Tintin portait un pantalon golf. Du coup, je remonte dans le temps jusqu'en 1942. Comme vous le constatez, cela ne date pas d'aujourd'hui…

Cette année-là, deuxième année de guerre, nous sommes à Pâques. Comme de coutume en cette période de fête, on en profite pour renouveler une partie de ses vêtements. Ma mère décide donc de m'acheter un pantalon. Aussitôt dit, aussitôt fait, nous nous rendons rue Cathédrale, chez le marchand-tailleur Leroy, section enfant, afin de choisir et d'acheter un pantalon golf ; vêtement très à la mode à l'époque. C'était un pantalon avec des jambes fixées à mi-mollet que l'on portait bouffant. Entre le bas du pantalon et le dessus de la chaussure, il y avait un espace d'environ 20 centimètres. Il était donc impératif de porter des bas et non des chaussettes pour combler cet espace. Après l'essayage, nous optons pour un beau pantalon en gros tissu de couleur marron, afin de ne pas être trop salissant. En sortant du magasin, ma mère a une idée subite. Comme nous sommes près du Pont des Arches (démoli en ce temps-là), nous nous rendons chez le chapelier Jean afin d'acheter une belle casquette (encore une mode) pour « aller avec la nouvelle culotte ».

Jean de la Marck, pendant la guerre, vêtu d'un pantalon golf
Une photo de moi avec mon pantalon golf

Après ces achats, ma mère me dit que je suis paré pour les froids à venir. Car il ne faut pas oublier que la culotte courte est toujours de rigueur pour les périodes tempérées.

Et pendant plusieurs années, j'ai dû porter ces pantalons golf. Après la guerre, la libération venue, une nouvelle mode a fait son apparition : la mode Zazou. Les jeunes gens de l'époque se distinguaient par l'amour du Jazz, dans sa forme swing, et par une tenue excentrique. Imaginez, un pantalon golf très court, fixé juste au-dessus du genou et bouffant sur de longs bas blancs à torsades. Ils portaient de longs vestons cintrés et munis d'une martingale dans le dos ou au niveau de la taille.

Les cheveux étaient très brillantinés, tirés et croisés à l'arrière de la tête, formant presque une banane. Mais le nec plus ultra était de remplacer le veston par un Duffel Coat : manteau imperméable trois-quarts, avec capuchon, en gros drap de couleur beige. De petits bouts de bois à passer dans des anneaux permettaient la fermeture du vêtement. Celui-ci, en usage dans la marine de guerre anglaise, s'achetait dans les stocks américains (magasins vendant les surplus vestimentaires des armées de la libération). Le jeune, ainsi accoutré, était appelé « ZAZOU ».

Vers les années 1947/48, nous parviennent, des caves de St-Germain des Prés à Paris et plus particulièrement « Le Tabou », les musiques de Boris Vian, Claude Luthus, Sydney Bechet avec son célèbre « Les oignons » et les chansons engagées interprétées par Juliette Gréco comme « Si tu t'imagines ». La mode existentialiste s'installe chez nous. Le noir est de rigueur. Pantalon noir, serré aux chevilles sur de gros mocassins à semelles crêpées, appelés Mac Arthur, et chemise noire. En ce qui me concerne, pas question de m'habiller de la sorte. Ma mère ne jure toujours que par le pantalon golf.

Je devais avoir 14 ans, accompagnant quelques copains, nous nous rendons à la soirée dansante du dimanche, organisée au dancing l'Éden, en Pont d'Avroy. Nous descendons les quelques marches d'escalier conduisant à la salle et là, tout à coup, devant moi, la foule se trémoussant ! À cet instant, je constate avec stupeur que je suis le seul à porter un pantalon golf. L'impression que j'ai ressentie est que tout ce monde me regarde en se disant d'où sort-il celui-là. Il n'en faut pas plus pour m'inciter à battre en retraite et à prendre congé de mes copains, incrédules devant mon attitude.

À partir de ce moment-là, j'étais bien décidé à ne plus suivre les directives vestimentaires de ma mère. Bientôt, l'occasion rêvée se présente, sous forme de St Nicolas, pour modifier cette situation. Ma tante Mariette, sœur de ma mère, me demande ce que je veux pour ma St Nicolas. Tout de suite, je lui demande un long pantalon en lui précisant que ma mère ne voudra rien entendre. Ma tante me dit : « Ta mère n'a rien à dire, c'est moi qui te le paie, ce pantalon ». Embarrassé, j'en parle à ma mère, qui ne bronche pas et me dit « on verra ».

C'était tout vu, une fois de plus, nous nous rendons chez le tailleur Leroy, section enfant. Le vendeur toise mon mètre septante et se voit désolé de ne pouvoir servir ce grand garçon et nous invite à nous rendre chez Leroy Monsieur. Là, je buvais du petit lait. À ce moment, ma mère se rend compte que son petit fifi avait bien grandi et avait la taille d'un homme. Enfin, je le tenais, mon beau nouveau pantalon gris clair que j'allais pouvoir assortir avec un beau veston en velours bleu côtelé. Toutefois, une condition restrictive m'était imposée : je ne pouvais me vêtir de cet ensemble que les samedis, les dimanches et les jours fériés. N'empêche, j'étais heureux, je pouvais désormais me pavaner dans le Carré sans avoir l'air nunuche.

Jean de la Marck

Couverture de la brochure Sainte-Walburge et environs au XXe siècle - Souvenirs d'habitants

Paru en brochure

Ce récit a été publié au sein de la brochure Sainte-Walburge et environs au XXe siècle - Souvenirs d'habitants en page 20.