La mayonnaise ensorcelée
Par Jean de la Marck
C'était un soir de Noël, j'étais à la maison avec mon papa. Maman, caissière au grand magasin de l'Innovation, travaillait un peu plus tard afin de rentrer les comptes clôturés. Elle avait demandé à mon père de dresser la table pour le souper de réveillon. Mais avant, il fallait bien mettre la main à la pâte afin de pouvoir remplir les assiettes.
Aussi, papa et moi nous nous étions mis à l'ouvrage pour confectionner de bons petits plats. Le lapin aux pruneaux mijotait déjà sur un coin de la grande cuisinière à charbon. Papa épluchait les pommes de terre pour les frites. Une salade trempait dans un seau rempli d'eau. Voulant participer à l'élaboration du repas, je décide de donner un petit coup de main. Je dis à papa que j'allais monter une mayonnaise pour mélanger à la salade. Sais-tu bien faire cela, me demande papa. Oui, oui, tu vas voir, cela va aller tout seul.
Je prends une assiette profonde, je casse un œuf en prenant bien soin de garder le jaune que je mets dans le fond de l'assiette. Je mélange avec un peu de moutarde. Ensuite, je prends une bouteille qui se trouve parmi d'autres, sur la table, sans trop prêter d'attention. Je pense qu'il s'agit d'une bouteille d'huile d'olive. Je verse un filet d'huile puis avec une fourchette je commence à tourner. Après un moment, je constate que la mayonnaise ne se mélange pas bien. Je le dis à mon père. Il me répond : « mets quelques gouttes d'eau froide pour la saisir ».Malgré cela, rien à faire, elle ne veut pas prendre.
Mon père me regarde touiller. Subitement, il s'empare de l'assiette, attrape la fourchette et commence à battre aussi vite qu'un moteur de hors-bord. En jurant, il remet un peu d'eau, un peu d'huile. Rien à faire, la mayonnaise est toujours au même point. Aussi rouge que la crête d'un coq, il ouvre la fenêtre. Cette fois dit-il je vais lui donner un bon coup de froid. Par belle ou par laide, selon l'expression, il faudra bien qu'elle s'amalgame. Pendant qu'il chipote sur l'appui de la fenêtre, je regarde vers la table et là, stupéfaction, je remarque que la bouteille soi-disant contenir de l'huile est en fait une bouteille de vin blanc Muscadet. Quand je la montre à papa, j'ai cru qu'il allait faire une attaque d'apoplexie. « Sale gamin de m…. que vous êtes ». J'étais dans mes petits souliers. Mais, reprenant vite contenance, je lui réplique mi-figue mi-raisin « dommage que c'est du Muscadet, avec du péket tu aurais fait de l'advocaat ». Je me suis sauvé afin de ne pas recevoir une baffe. Bien des années plus tard, ce fut toujours un grand sujet de rigolade entre mon père et moi.
Jean de la Marck